CHATONS est un collectif d’hébergeur⋅euses de services numériques, initié en 2016 par l’association Framasoft, et signifie « Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires ». Deuxfleurs en fait fièrement partie.
Après sept ans de bons et loyaux services, Framasoft abandonne les CHATONS à leur sort, comme des parents inquiets pousseraient leur petit Tanguy hors de la maison familiale pour qu’il s’émancipe et leur revienne, adulte et responsable. Conséquemment, dans notre cerveau collectif félin, c’est la panique : un⋅e salarié⋅e de Framasoft assure un tiers-temps pour la coordination de CHATONS jusqu’à fin 2023, et iel en achève du travail ! Travail qui incombera désormais à une ribambelle de bénévoles qui ont déjà une activité associative généralement chronophage (comme nous avec Deuxfleurs). Petit problème : satisfait⋅es de déléguer notre gestion à Framasoft, nous n’avons sérieusement mis en place ni gouvernance, ni modération, ni code de conduite, ni même un objet social qui mette tout le monde d’accord. Il nous reste donc … quatre mois et huit jours pour ce faire.
Cet billet synthétise l’état de l’union (la pratique actuelle du collectif) et les diverses aspirations concernant notre gouvernance que j’ai pu entendre au Camp CHATONS’23 ou lire sur le forum. Mon but ultime est de motiver mes camarades CHATONS à venir à l’Université de Vincennes le samedi 14 octobre 2023, où nous tiendrons une Assemblée Constituante pour entériner une première version de notre gouvernance autonome d’ici début 2024.
Je m’intéresse au fonctionnement interne de CHATONS depuis seulement deux mois : je manque de recul. N’hésitez pas à me signaler mes bourdes et erreurs par e-mail à @ deuxfleurs.fr – je corrigerai l’article.
Le Déjà-Là
Signalons d’abord que CHATONS est un collectif informel : il n’a pas de statuts. (Nous discutons de la pertinence de devenir une association déclarée en préfecture.) Actuellement, nous prenons bien quelques décisions, mais aucun de nos processus n’est gravé dans le marbre (si bien qu’ils sont critiqués à chaque vote). Je voudrais d’abord relater ce que j’ai pu voir de notre gouvernance existante, avant de me pencher sur les différentes propositions pour l’avenir.
La gouvernance de CHATONS, c’est d’abord des réunions mensuelles. Un CHATON en assure la tenue et l’animation, tandis que la réunion elle-même est encadrée par un⋅e maître⋅sse du temps, et quelques scribes. L’objet varie, mais grosso modo on y discute de l’actualité du collectif, et on y restitue l’avancement des groupes de travail. Parfois on y vote, mais le gros du collectif n’étant pas présent à chaque fois, la réunion mensuelle n’est pas l’outil préféré pour les décisions collectives.
Des Groupes de Travail (GT) se forment pour réaliser diverses tâches. Exemples récents : GT Asso (regroupant réflexion sur la nécessité de créer une association pour le collectif, gouvernance etc.), GT Matrix (un outil de communication instantanée qui pourrait servir entre CHATONS). Ils s’organisent comme ils le souhaitent, font des réunions, publient des Comptes Rendus (CR) et parlent de leur avancement en réunion mensuelle.
Le Forum est le lieu officiel pour toutes les discussions sur le collectif. Avant lui, il y avait une liste de diffusion e-mail, mais je ne connais pas son rôle aujourd’hui. Sur le forum, on peut faire des votes engageant tout le collectif. Comme dit plus haut, chaque vote vient avec son mode de scrutin – vertement critiqué. À part ça, sur le forum… on s’engueule ! Ce n’est (de l’avis général) pas un endroit très convivial, car il reflète plus nos quelques divergences de points de vue que nos nombreux assentiments. Pour cette raison, deux comités informels régulent cet espace : l’équipe modération/médiation (qui essaye de résoudre les conflits sur un autre canal, mais n’a aucun moyen de coercition), et l’équipe accueil (qui fait un accueil chaleureux aux nouveaux CHATONS avant de les envoyer dans les tranchées). (J’exagère, il y a plein de discussions sympathiques sur ce forum !)
Les portées sont des moments bi-annuels où nous recrutons de nouveaux CHATONS. Ici, le processus est clair. Tous les CHATONS ont droit de vote, afin de déterminer si la candidature répond à notre Charte. Le scrutin se passe sur un ticket git (exemple), chaque CHATON peut voter +1/-1/blanc, et même modifier son vote en répondant une nouvelle fois au ticket. Le total est comptabilisé à l’issue de la période de vote, et s’il est positif, tadaaa, la candidature est acceptée. Il s’agit donc d’un scrutin à suffrage ouvert, sans quorum, et modifiable. Je m’y attarde parce que c’est le seul mode de décision qui soit vraiment bien établi chez nous. Je trouve personnellement cohérent que les collectifs votent à scrutin ouvert, puisqu’ils engagent leurs adhérent⋅es (« T comme Transparent »). On retrouve ce mode de scrutin dans quelques décisions prises sur le forum, comme le vote d’une récente modification de la Charte.
Humainement, je reviendrai plus bas sur les tâches de læ salarié⋅e de Framasoft qui dédie actuellement un tiers-temps à CHATONS.
Nous disposons de quelques outils : wiki, salon de communication Matrix, site… Et de tous les outils numériques hébergés par nos membres, finalement !
Le Plan
La question de la gouvernance remonte à loin, foisonne en discussions, mais n’a jamais été tranchée. Informé⋅es du retrait de Framasoft, on a commencé à s’y pencher sérieusement au camp CHATONS 2022 durant deux ateliers. Qui ont mené a une proposition sur le forum. Qui a mené à un GT « Asso », scindé en trois sous-groupes « objet social », « fonctionnement administratif » et « gouvernance ». La proposition du GT « Gouvernance » est plutôt aboutie, inspirée du Parti Pirate. Le peu d’investissement collectif dans ces GT laisse tout de même entendre que leur direction ne convient pas à la majorité (qui fait donc l’autruche – et j’inclus Deuxfleurs, bien sûr).
Bref. Beaucoup d’idées, beaucoup de travail, pas encore de résultats.
Mais là, nous sommes dos au mur : forcés de nous choisir une destinée gouvernementale d’ici la fin de l’année. C’est dans cette idée que Quentin (de Deuxfleurs) a proposé un planning pour, enfin, prendre une décision collective sur le sujet.
Pour la partie “prog” du schéma, nous avons passé beaucoup de temps au Camp CHATONS 2023 à parler gouvernance, via au moins quatre ateliers : un premier nommé « Rêve d’une coopération tournée vers l’action » (le vendredi), un second debriefing du GT « Gouvernance », un troisième de Khrys « Demain, nous sommes 10 000 CHATONS », et un dernier « Discussion objet, gouvernance et modération du collectif » (tous trois le dimanche). [Je crois que j’en oublie : corrigez-moi.] C’est surtout pour synthétiser tout ça que je me tiens aujourd’hui devant vous.
La suite, c’est de mûrir nos réflexions jusqu’à l’Assemblée Constituante qui se tiendra le 14 octobre à l’Université de Vincennes. Puis de distiller nos échanges dans une proposition concrète en novembre. Et enfin de passer le schmilblick au vote (sur le forum) en décembre. Et ça va pas se faire sans vous les félins ! C’est à nous, CHATONS, de réfléchir à notre avenir commun, de formuler des propositions (réalistes, concrètes et applicables siouplaiiit), de proposer des sessions pour la Constituante (que vous puissiez y être ou non), et de décanter ça sous forme de Première Constitution Féline Numérique. Bref, à nous de faire, d’agir, de créer, d’inspirer, de croire, Vindiou !
La Synthèse
J’ai pu entendre environ trois voies principales concernant notre gouvernance au sens large : la « j’ai tout prévu », la « légère », et la « telle quelle ». Pour référence, je vous renvoie notamment au CR de l’atelier « Discussion objet, gouvernance et modération du collectif » du Camp 2023.
Gouvernance « J’ai tout prévu »
C’est le fruit du travail du GT « Gouvernance », fortement inspiré du Parti Pirate et donc mûri d’expérience de terrain pour parer aux situations les plus désastreuses, éviter les burn-out militants en répartissant la charge, etc. Comment dire … un beau bébé :
Le manque d’engagement au sein du GT, les bruits de couloir et nos questions inlassables durant l’atelier debriefing indiquent une chose : ça plaît moyen, parce que trop lourd. La gestion de ce mode de fonctionnement dépend intensivement du logiciel Congressus qui n’est pas bien documenté. La ségrégation en myriade de conseils implique un sur-coût organisationnel conséquent (ça s’appelle le ralentissement parallèle dans le vocable des systèmes distribués), incompatible avec le maigre investissement actuel des membres de CHATONS (on a déjà tou⋅tes un collectif sur les pattes, n’oubliez pas). Enfin, une formation est nécessaire pour comprendre et opérer la gouvernance. Bref, un bazooka.
Je tiens quand même à saluer le travail des camarades. Il y a de très bonnes raisons fonctionnelles pour cette complexité. La répartition des tâches via les sous-conseils d’administration vise à éviter d’épuiser nos bénévoles. La cellule de gestion de crise est une évidence : ce n’est pas en pleine crise qu’il faut réfléchir à la créer. De belles idées, qui peinent malheureusement à apparaître dans la représentation très réglementaire qui est faite de la proposition.
Gouvernance « légère »
Il s’agit ici de trouver la structure la plus légère qui permette au collectif d’opérer efficacement. Bien que populaire, la proposition n’est pas aboutie. Je retranscris ci-dessous les différences par rapport à la structure existante.
Les GT sont auto-gérés et auto-désignés. En d’autre termes, on n’a besoin d’aucun assentiment collectif pour commencer à travailler en petit groupe sur un sujet. Leur organisation est à la charge de leurs membres. Le GT communique son avancement grâce à ses comptes-rendus. Il informe le collectif de son travail durant les réunions mensuelles, et peut y passer au vote des décisions qui impliqueraient tout le monde. Par exemple : si certain⋅es veulent travailler à un espace de discussion sur Matrix pour CHATONS, iels n’ont besoin de personne pour s’y atteler. Mais, si iels souhaitent rendre ce mode de communication officiel, il faudra passer la proposition au vote. Un autre exemple requérant l’assentiment collectif, c’est évidemment si un GT demande des fonds.
Les réunions mensuelles sont renommées Assemblées Générales (AG). En plus d’être un lieu de communication des nouvelles du collectif, elles deviennent un organe décisionnaire : par vote, consentement ou consensus en fonction de l’importance des décisions. Pour assurer une bonne représentation, on organise des délégations de vote pour les CHATONS absents (la délégation a été étudiée par le GT Gouvernance, mais je n’en sais pas plus). Des AG extraordinaires se tiennent à intervalles plus espacés pour discuter de la stratégie long-terme du collectif (« tous les cinq ans » d’après les notes d’atelier, mais une fois par an ne me paraîtrait pas excessif).
Étant la proposition que je préfère, laissez-moi défendre un peu le bifteck. On a un problème avec le constant sentiment d’illégitimité de nos membres chez CHATONS. Il est crucial qu’on batte cela en brèche pour sortir de notre apathie décisionnelle. Le but ici, c’est de favoriser/nourrir l’action. C’est pourquoi on réduit au maximum la voilure de la discussion a priori, pour lui préférer la validation a posteriori. Ça va dans le sens du droit à l’improvisation et à l’erreur : tant pis si l’on fait passer le collectif pour des marioles de temps en temps ou si l’on casse quelque chose. On peut toujours corriger le tir. Il n’y a que celleux qui ne font rien qui ne font pas de bêtises, et nous avons tou⋅tes envie que le collectif commence sérieusement à faire.
Gouvernance « telle quelle »
L’idée, c’est de continuer temporairement à faire fonctionner le collectif avec son mode de gouvernance actuel, et de nous re-pencher sur la question dans quelques mois, fort⋅es de notre recul vis-à-vis de nos limites. « On résout les crises comme elles se posent sans se structurer a priori. » (C’est bien, avec cette proposition j’ai pas grand-chose à ajouter.)
Je rajoute quand même la suggestion d’un autre groupe de travail de l’atelier, qui me semble particulièrement pertinente ici : « On prend un⋅e facilitateur⋅ice pour nous aider à avancer (car ce n’est pas notre point fort) ». Il est clair que pour formuler de bonnes adaptations à l’issue de la période « temporaire », il faudra une belle capacité d’introspection sans œillères. Cet exercice est universellement difficile à titre personnel, alors collectivement, il est certain qu’on aura besoin d’un accompagnement compétent.
Je trouve cette proposition réconfortante parce qu’elle postule qu’on n’est pas si dysfonctionnels que ça, en nous enjoignant à poursuivre sur nos acquis. Mais puisqu’on est déjà penché⋅es sur le chantier, autant faire quelques ajustements maintenant, non ? Par ailleurs, vous vous souvenez de la prise de pouvoir « temporaire » des bolcheviks en 1917 ?
Les Tâches
Revenons sur cette histoire de salarié⋅e de Framasoft qui dédie un tiers-temps à CHATONS et s’en va fin 2023. Kesskelbouine ? C’est quoi son travail pour le collectif ? La liste de ses tâches est sur ce tableur (autorisation requise – à défaut vous pouvez vous contenter des CR du GT Asso qui a produit cette liste). J’en liste quelques-unes des plus importantes à mes yeux :
- Organisation du Camp CHATONS. On y tient à ce camp. J’y ai entendu dire « ça n’existe que depuis 3 ans, mais c’est ma respiration militante estivale, nécessaire ». Environ 120h de travail annuel d’après le tableur.
- Organiser les portées (= candidatures), deux fois par an. Volume horaire variable en fonction du nombre de candidat⋅es, mais conséquent travail de coordination quoi qu’il arrive.
- Communication interne et externe. Forum, e-mails, réseaux sociaux, présence physique à des événements…
- Accompagnement de stagiaires. (Pour dire qu’on ne va pas forcément garder toutes les tâches pré-existantes.)
- …
Les questions sont nombreuses quant à ce volet opérationnel. Faut-il salarier quelqu’un d’autre à nos frais (ce qui nécessiterait de devenir une association 1901) ? Nous qui sommes déjà des bons samaritains fauchés fournissant de l’hébergement à prix coûtant ? Pourquoi pas… 1000€/mois de frais pour CHATONS reviendrait à 120€/an par membre. Non négligeable, mais faisable. Ou va-t-on plutôt réduire au maximum la voilure et se répartir la charge restante entre CHATONS ? En est-on capables ? Va-t-on épuiser nos bonnes volontés ou arrivera-t-on à faire un roulement régulier des responsabilités ?
La Conclusion
Que de propositions, si peu de décisions. L’avenir recèle tellement de potentialités que c’en est effrayant. Mais imaginez ! Demain : le collectif CHATONS, fort de 30 millions de membres déterminés, organisés et griffus, marchant sur la Défense pour renverser l’ordre numérique ploutocrate et oppresseur, et déclarer la souveraineté des peuples à gouverner leurs propres infrastructures numériques et matérielles…
Freestyles à part. J’ai fait ce briefing, en donnant une vue partielle/partiale des aspirations gouvernementales de notre collectif. À vous maintenant ! On organise une Assemblée Constituante de 14/10 à Paris Vincennes, et moi je compte vous y écouter prendre des décisions. On votera en décembre. Soit on obtiendra une gouvernance fonctionnelle, soit on sera armé⋅es d’un très beau travail pour y arriver plus tard. Il y a aussi du travail logistique à faire pour organiser la journée. Et c’est pareil : on va faire ça ensemble ! Je vous quitte donc sur quelques liens :
- Le pad d’organisation de la Constituante : allez le lire, inscrivez-vous à un comité, faites de cet événement le vôtre.
- Le salon de discussion Matrix pour la Conception de la Constitution
- Celui pour la Logistique
J’espère que cet article fleuve et le reste n’aura laissé de doute à personne : j’aime ce collectif, il ira loin, et j’ai toute confiance en notre avenir !
Bisous 😘 Adrien
PS : Merciiii, Framasoft, merciiii. De nous avoir conçu⋅es, de nous avoir appris à marcher, d’avoir payé pour nos fournitures scolaires et notre premier logement au CROUS. Votre travail est magnifique.
(Crédit photo couverture : US National Archives, domaine public)
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