Ceci est mon bilan personnel des applis comme Tinder, au moment où j’écris. Je ne prétends pas décrire d’autre situation que la mienne, et encore moins lui apporter une solution. Je suis un homme gay et dans le domaine du dating ma situation n’est pas comparable à celle d’autres camarades queers. Je ne considère pas du tout ici le dating en ligne hétéro, qui est tout aussi misérable mais pour des raisons très différentes.
Situation
Pourquoi est-ce si compliqué de trouver un partenaire quand on est gay ? Clairement, le premier facteur est tout trouvé : il est très difficile de flirter dans l’espace public et la vie quotidienne. Tout simplement parce que 1° on est peu, et 2° on ne se reconnaît pas forcément entre nous. Pour déjouer la force du nombre hétérosexuel, les applications proposent la mise en contact, mais n’offrent qu’une pitoyable parodie de contact humain, délavée par la distance et la paresse de chacun. Le ghosting est roi, et la mort par inanition de conversations creuses règne presque partout ailleurs. Comment pourrait-il en être autrement quand on échange des messages texte avec un parfait inconnu, sans base ni intérêt commun sinon quelques vagues mot-clés ? (Expos, Fripes, Prendre soin de soi ?) Quand par exception ou au terme d’un parcours du combattant on a pu décrocher un date, pour un nombre conséquent d’entre eux, c’est la déception qui guette : l’autre ne ressemble pas à ses photos, ou plutôt à l’image qu’on s’était faite de lui à partir de quelques clichés. Ou parfois, c’est toi qui déçois.
Mon bilan personnel de plus de 4 ans d’applications de rencontre ? Je vais laisser de côté les coups d’un soir et autres plans. Non parce que je les récuserais comme non légitimes — qu’est-ce que ça pourrait bien vouloir dire — mais parce que j’ai décidé que ces transactions auxquelles je procède parfois comblent certes un désir, mais qui n’est pas celui qui anime ma recherche. Le bilan de 4 ans donc : une grosse dizaine de rendez-vous, 4 hommes que j’ai eus envie de revoir, 2 que j’ai revus, 1 avec qui j’ai ressenti un début de complicité, 1 avec qui j’ai couché, 0 avec qui les relations ont duré plus de deux semaines. Et cela parmi plusieurs dizaines d’échanges de messages, et plus d’une centaine de matchs.
Pourquoi un bilan aussi pathétique ? C’est sans doute, pour une part, ma faute. Je déteste chaque nœud du dating pipeline, des conversations laborieuses au rendez-vous et par-dessus tout devoir mettre un râteau à l’autre (par message après le date, parce que je ne suis pas plus courageux qu’un autre). Subir le râteau m’est moins pénible mais est bien sûr un moment désagréable qui vous refroidit du dating pour quelques jours. Par conséquent, j’ai réduit au minimum les dates, été exigeant sur mes likes, avare en messages avec mes matchs (et c’est doute la raison pour laquelle personne ne se parle sur ces applis). Et quand les probabilités jouent contre vous, réduire la voilure est le meilleur moyen de ne pas trouver l’amant espéré.
Cependant, si je suis plus lâche que d’autres et que cela explique pour partie mon insuccès, je crois néanmoins que mon expérience a quelque chose d’universel. J’en veux pour preuve le consensus total parmi mes amis queers : le dating, c’est l’enfer ; et le fait que, dans la grande majorité des cas, un match ne débouche pas sur une discussion, et une discussion ne débouche le plus souvent sur rien du tout. Ainsi Tinder (et supplétifs) est-il une lande désolée où des célibataires swipent par ennui, et timide espoir d’un contact humain authentique, tout en ne faisant aucun effort pour établir un tel contact. En effet chacun de nous sait que la quasi-totalité de ces efforts s’abîmeront dans les eaux glacées de la paresse d’autrui. L’enfer, c’est l’absence des autres.
À qui la faute ?
Dire que le capitalisme détruit les communautés n’est pas une analyse nouvelle. Notre mode de vie au sein de l’empire occidental est particulièrement solitaire. Les collectifs d’autrefois, ceux du village, de l’usine, ou du bistrot de quartier ont été détruits les uns après les autres. La communauté LGBT n’existe plus, en tant que telle. Les gays, notamment, ayant acquis une respectabilité au sein de l’empire, ont choisi de devenir les consommateurs satisfaits que leur condition les empêchait d’être ; leur solidarité n’est plus et ne subsiste que sous forme d’images, de séries télé, de lifestyle. Nous sommes aussi esseulés que n’importe qui d’autre ; et je suis pour ma part convaincu que le dispositif technologique des applications de rencontre ne changera rien à cette atomisation.
Que faire ?
Individuellement, il semble n’y avoir que trois stratégies possibles.
- Persévérer sur les applis. Jouer avec les règles du jeu. Te présenter sous un bon jour sur les photos. Liker même quand tu n’es pas sûr. Prendre le risque de faire des dates même si le soupirant pourrait ne pas être à ton goût. Essayer tant bien que mal d’atteindre l’âme de l’autre malgré tous les écrans. Dans le cadre des applis et sans compter sur une chance improbable, c’est la seule stratégie valable.
- Dire merde aux applis. Chercher son bonheur dans les soirées et les collectifs queer. Compenser par le groupe ce qui te manque dans la foule, et te faire sociable pour attirer les amants.
- Dire merde à la recherche d’une relation amoureuse. Vivre sa vie avec d’autres projets, et assumer la solitude qui en découle quasi mécaniquement. Bien sûr, on peut toujours avoir un coup de chance.
Fais ton choix, camarade.
Que faire, collectivement ?
Je serais bien en peine de le dire. Tenter de revenir aux anciennes communautés serait dénué de sens. Outre qu’elles étaient loin d’être idéales, leurs conditions d’existence ne sont plus et le retour en arrière n’a rien de souhaitable. Le seul projet qui me paraît un tant soit peu valable serait de se fédérer autour du refus du mode de vie capitaliste et impérial : refuser de s’y intégrer en tant que consommateurs. Se trouver un rôle contre, ou à côté, et l’incarner.
Mais bien sûr, les collectifs amicaux, artistiques ou militants n’ont rien d’une solution au problème du dating. On connaît d’ailleurs les torts qui naissent du mélange des deux. J’ai donc peur que nous soyons coincés dans l’enfer du dating pour encore très longtemps. Mais si notre vie amoureuse est condamnée à cette précarité, peut-être pouvons-nous encore sauver le reste de notre âme. Peut-être, en choisissant un projet collectif, arriverons-nous à connaître parfois des contacts humains authentiques.
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